LE MAGAZINE DES TENDANCES MODE & LIFESTYLE
BIO EXPRESS/ DIPLOMÉ DE L’ESCP ET ENTREPRENEUR ACCOMPLI, YANN RIVOALLAN, 50 ANS, ÉVOLUE DANS LA MODE ET LE NUMÉRIQUE DEPUIS VINGT ANS. IL FAIT SES PREMIERS PAS DANS LA MODE EN TANT QUE FONDATEUR D’UNE AGENCE DE PHOTOGRAPHES, PUIS EN 2008, IL A COCRÉE L’AGENCE THE OZ SPÉCIALISÉE DANS LE E-COMMERCE POUR ACCOMPAGNER LES MARQUES DANS LEURS DÉFIS D’OMNICANALITÉ ET DE DIGITALISATION. EN 2022, À LA RECHERCHE DE NOUVEAUX CHALLENGES ET AFIN DE RÉPONDRE AUX MUTATIONS NUMÉRIQUES, IL A LANCE LA SOCIÉTÉ EVERYWHERE ANYTIME, UNE ÉCOLE DE FORMATION DÉDIÉE A LA TRANSFORMATION NUMÉRIQUE. DEPUIS 18 MOIS, IL PRÉSIDE LA FÉDÉRATION FRANÇAISE DU PRÊT-À-PORTER FEMININ.
Comment le marché du prêt-à-porter s’en sort-il dans ce contexte hyper chahuté ?
Le marché ne cesse de se transformer et de se complexifier. Ces quinze dernières années, la digitalisation a bouleversé le trafic en boutique et nous sommes passés à des modèles omnicanaux. Par ailleurs, l’apparition de l’ultra-fashion avec l’avènement d’acteurs tels que SheIn et Temu créée une concurrence totalement déloyale. Outre les controverses éthiques que cela pose, les chiffres d’affaires en volume communiqués par ces deux mastodontes du marché semblent minimisés. On subodore un milliard d’euros de chiffre d’affaires, alors qu’ils n’en déclarent que 500 millions. Les mesures de protection doivent être renforcées. Heureusement, une étude de l’Agence de la transition écologique (ADEME) devrait clarifier la situation très prochainement. Pour résister à de tels phénomènes, les détaillants doivent jouer la carte du conseil et optimiser l’expérience en magasin, ce qui n’est pas possible dans le numérique. Parallèlement, l’avènement de la mode circulaire ne doit pas être vécue comme une menace, mais comme une opportunité pour tous les acteurs du marché.
Quels sont les nouveaux enjeux du secteur ?
Face à l’inflation, le consommateur doit procéder à des arbitrages. L’alimentation et les voyages pèsent de plus en plus lourd dans le budget des ménages. Même si l’attrait pour la mode et le luxe résiste - il faut toujours s’habiller tous les jours -, le marché est bien plus tendu que par le passé. Il faut chercher des ébauches de solutions à la manière de Kitsuné qui a réussi à innover en alliant mode, café et musique. En devenant une griffe lifestyle, ils ont décuplé leur capacité à faire rêver, à créer du désir et de la valeur. Le modèle de la diversification est une piste qui mérite d’être creusée. Avoir une politique de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) semble devenir incontournable.
Mais comment financer les efforts à consentir alors que le consommateur n’est pas prêt à payer (Value Action Gap) ?
Les consommateurs se sont habitués à la gratuité des services dans de nombreux secteurs. Par ailleurs, face l’inflation, de nombreuses marques se sont retrouvées obligées d’augmenter les prix et de baisser leurs marges. On expérimente actuellement la quadrature du cercle avec la RSE car si elle va dans le sens de l’histoire, elle exige de vraies transformations et des investissements. Lutte contre l’inflation ou RSE ? C’est souvent un dilemme pour les marques qui doivent survivre avant tout.
La labellisation dans le textile fonctionne-t-elle ?
La traçabilité deviendra la norme : un cadre légal obligatoire à moyen terme. Les consommateurs ont besoin de repères surtout en ce qui concerne le social. J’ai tendance à croire que lorsque les travailleurs sont bien traités, la planète l’est aussi. Par contre, systématiser les audits pour parvenir à des labellisations efficaces reste un sujet nébuleux. Comment distinguer les bons produits des mauvais ? Prenons l’exemple d’un pullover en laine premium, il coûte cher en termes de ressources pour la planète, mais s’il est durable et quasiment garanti à vie, son empreinte écologique sera très largement compensée.
Avez-vous une visibilité des critères d’achat dans le textile ?
Depuis de nombreuses années, le prix est de loin le premier critère d’achat, suivi par la marque puis la qualité. En période d’inflation plus encore, acheter bien n’est pas une priorité
Concernant l’IA, sommes-nous déjà dépassés ?
La France n’investit pas suffisamment dans la recherche et le développement, mais les gaps technologiques peuvent nous permettre de rattraper notre retard. L’IA générative et prédictive est la quatrième révolution Internet. Les Français ont prouvé par le passé qu’ils savaient s’adapter aux changements technologiques. Si dans notre secteur, les grands acteurs auront certainement du mal à concurrencer technologiquement les Chinois, ils pourront au moins se targuer d’avoir des chaînes de valeurs plus intègres. Les modèles rationnels basés sur le volume et l’analyse de data n’ont rien à voir avec ceux basés sur la désirabilité, le conseil et l’expérientiel. Sézane, l’un des fleurons français en matière de prêt-à-porter, a su créer un univers empreint d’émotion, faire vibrer ses clientes à travers ses produits et boutiques, rassembler une communauté forte, communiquer sur ses valeurs et jouer sur l’omnicanalité.
Dans votre étude Flair, 70 % des dirigeants interrogés pensent qu’ils devront se recentrer à l’horizon 2030. Qu’entendez-vous par recentrage ?
Dans un monde de plus en plus complexe (inflation, avènement de la seconde main, révolution de l’IA, RSE), il faut choisir ses batailles, se poser la seule question qui vaille : pourquoi s’habille-t-on ? Se recentrer signifie trouver sa ligne de crète, un modèle juste et équilibré qui prend en compte l’identité de sa marque.
Comment les détaillants peuvent-ils bénéficier du marché de la seconde main ?
On oublie trop souvent qu’à la base d’une transaction de seconde main, il y a toujours un produit désirable et/ou de bonne qualité qui a été vendu une première fois en magasin ou sur le Net. La frippe est l’occasion de réinventer son business en faisant cohabiter différents modèles au sein du même espace et de cumuler les ambiances de façon décomplexée. En mélangeant nouveautés et pièces vintage, les détaillants créent de la rareté.
L’omnicanalité continue-t-elle de progresser ?
Les chiffres sont implacables : sur le marché des boutiques multimarques moyen de gamme, seules 8 % des ventes sont faites sur le numérique, contre 30 % pour les boutiques premium et 50 % pour les enseignes possédant un réseau en nom propre. Plus le réseau physique est puissant, plus le numérique fonctionne.
Comment voyez-vous l’évolution des comportements des consommateurs ?
La GenZ consomme et vend de plus en plus sur le réseau seconde main. Elle a également une forte appétence pour l’ultra-fashion. Radicale dans sa consommation et pleine de contradictions, elle cultive une certaine ambiguïté entre paroles et actes. Mais ce phénomène est finalement assez généralisé car lorsqu’on parle de plaisir, c’est beaucoup plus difficile de faire des concessions.
Quels sont, selon vous, les nouveaux axes d’innovation dans le secteur de la mode ?
On parle beaucoup de RSE et d’IA mais la prochaine révolution se fera sur des prix personnalisés. Les prix ne se feront plus sur l’étiquette. Les jeunes se sont déjà habitués à négocier les prix sur le net lorsqu’ils achètent sur le circuit circulaire. Les mentalités vont progressivement évoluer vers une variabilité des prix. Sur ce terrain en particulier, l’IA sera incontournable.
Quelles sont vos missions en tant que fédération du prêt-à-porter ?
L’un de nos rôles principaux est de travailler sur des changements systémiques en légiférant. La fast fashion et la labellisation font notamment partie des sujets sur lesquels nous planchons. Nous sommes aussi des créateurs d’écosystèmes et des incitateurs d’innovations dans le secteur de la data. Avec Flair, par exemple, nous avons créé une communauté d’entraide entre dirigeants de marques. L’objectif de cet outil est de comprendre les grands acteurs du prêt-à-porter, d’identifier leurs priorités, leurs attentes et leurs besoins pour dessiner une vision collective à l’horizon 2030. Suite aux résultats de cette première édition, de nombreux startuppers nous ont contacté pour y participer. Cet élan communautaire est plein de promesse…
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